La romance de l’angoisse

La romance, c’est très bien, c’est très joli, mais parfois, ce n’est pas exactement ce à quoi on s’attendrait. 
 
Parfois, l’auteur zappe les cœurs, les petits oiseaux, les poneys et les arc-en-ciel pour écrire ce que l’on appelle de la «romangst» – angsty romance, ou de la romance angoissante. 
 
Dans ces livres, les héros ne vivent pas dans un monde enchanté où le méchant est en carton pâte et le plus gros souci consiste à choisir entre bleu pale et bleu roi pour la robe de bal du jour. Et surtout, ces problèmes ne seront pas traités avec légèreté et humour, mais dans une ambiance lourde et pesante, où vous pourrez apprécier chaque seconde de l’angoisse, parfois de la douleur des personnages. La romangst vous prend à la gorge et ne vous lâche pas jusqu’à la dernière page. Souvent, elle laisse derrière elle un sentiment de vague malaise car, même si le happy-end de rigueur a bien eu lieu, il n’aura pas été facile. Tam-Tam aime voir ses héros souffrir un peu, moi pas du tout. Mais je reste curieuse, et parfois je me laisse convaincre par des copines. Comme Pimpi, qui avait dans sa PAL un livre dont j’avais beaucoup entendu parlé et dont nous avons décidé de faire une lecture commune. 
 
Ici, on va plutôt chercher dans le genre d’un héros enfermé dans un asile de fou. En Angleterre, en 1880, quand les méthodes de traitement étaient les douches glacées et les électrochocs. 
 
Et c’est précisément de cela dont je veux vous parler aujourd’hui. Non pas un, mais deux livres qui entrent dans cette catégorie. D’abord, The madness of Lord Ian MacKenzie, de Jennifer Ashley, et Flowers from the storm de Laura Kinsale. 
 
La romangst est un exercice périlleux car il n’est pas facile pour l’auteur de nous faire croire au potentiel romantique d’un héros se trouvant dans des circonstances pour le moins difficiles, et le plus souvent avec raison. Un héros qui ne sera donc pas charmant et charmeur, mais qui vient accompagné d’une ribambelle de problèmes et de séquelles psy sérieuses. Un héros qui le plus souvent, est diminué, intellectuellement. Parlons crument, ces héros là ont un handicap mental. Le talent de l’auteur doit donc être proportionnel à la difficulté de la tache, pour rendre ce personnage crédible dans le rôle du héros romantique ! 
 
Revenons à Lord Ian MacKenzie. Ian est fou. Ce qui, en réalité, ne veut pas dire grand-chose. Mais si Ian n’est plus dans l’asile où il a passé sa jeunesse, il parait évident à nos yeux de lecteurs que quelque chose ne tourne pas très rond. En fait, je crois que Ian est autiste, mais la notion même de ce syndrome n’ayant été reconnue que dans les années 1940, pour son époque, Ian est juste fou. Heureusement doté d’une famille très puissante, la bonne société tolère plus ou moins ses excentricités. 
 
Beth, de son coté, est une veuve de basse extraction qui vient d’hériter de la fortune de la vieille dame chez qui elle était demoiselle de compagnie. Après, l’histoire est assez simple, un cliché habituel de la romance. Ian rencontre Beth, il la veut, il la poursuit de ses assiduités, un meurtre et un méchant viennent mettre un peu de bazar dans tout ça et à la fin, ils vivent heureux avec beaucoup d’enfants. Classique. 
 
Mais à cause de la particularité du héros, j’attendais beaucoup de cette histoire. J’attendais que l’auteur essaye de m’expliquer le point de vue du héros, qu’elle analyse la manière dont il fonctionne dans la société, des explications sur pourquoi l’amour nait entre ces deux-là, et comment gérer leur relation étant donné son caractère forcément particulier. 
 
Mais rien de tout cela n’est présent dans The madness of Lord Ian MacKenzie, la seule chose qui lie Beth et Ian, c’est une libido surdéveloppée. Chaque description, des sentiments, des souvenirs, des scènes sexy, est faite de manière très détachée, clinique. Ce livre, en fait, manque cruellement de psychologie, et m’a laissée de glace. 
 
Il s’agit pour moi d’une vraie déception car je gardais en mémoire le souvenir d’un autre livre, Flowers from the Storm de Laura Kinsale, se déroulant an Angleterre vers 1850. Là, le héros, Christian, était lui aussi considéré comme fou. Mais dans ce cas, c’est à la suite d’une attaque qui lui a fait perdre l’usage de la parole, le rend presque sourd et partiellement paralysé. C’est dans l’asile où sa famille l’a fait enfermer qu’il rencontre son héroïne, Maddie. 
 
Là où, pour Ian, les choses sont racontées avec froideur et détachements, me donnant l’impression d’être un voyeur qui se repait des détails sordides, Laura Kinsale explore avec une grande finesse les méandres du système de « santé » de l’époque, les raisons qui permettent d’expliquer le fonctionnement de l’asile, l’état de la médecine et les théories médicales justifiant les traitements. Si tout cela parait cruel à nos yeux, au moins, dans ce deuxième livre, elles sont compréhensibles. 
 
Dans la façon de faire comprendre au lecteur le handicap du héros, les conditions sont évidemment différentes. Mais Laura Kinsale prend le temps d’accompagner Christian tout au long de sa « rééducation » – qui ne sera pas miraculeuse, laissez-moi vous le dire, et nous montre comment il apprend à vivre avec les lourdes séquelles de cette expérience traumatisante. 
 
La comparaison jouant nettement en défaveur de Jennifer Ashley, vous l’avez compris, je ne recommande pas The madness of Lord Ian MacKenzie. Quand à savoir si je recommande Flowers from the Storm… certainement pas si vous n’aimez que les romances fun et légères, à la Julia Quinn. Dans ce cas, passez votre chemin sous peine de traumatisme !
 
Cependant, si le sujet ne vous effraie pas, et si vous devez choisir un livre de ce genre pour découvrir, alors oui, Flowers from the Storm est pour vous. 
 
Bonne lecture (ou pas), 
Chi-Chi

The Shadow and The Star

Laura Kinsale fait partie de ces auteurs que l’on rencontre souvent en romance et dont on ne parle pourtant jamais (et par on, je veux dire moi).
C’est un « classique », elle écrit depuis des dizaines d’années, elle a fait connaitre Fabio, y a-t-il vraiment autre chose à en dire ? Je n’ai pas lu beaucoup de ses livres mais ils m’ont tous laissé une impression durable, et cela suffit pour être mentionné.

Et bien sûr, si j’en parle aujourd’hui c’est car Laura a également tenté sa chance dans le club très select des héros vierges, en la personne de Samuel, aka The Shadow, dans le livre éponyme, The Shadow and the Star.

The star, du coup, vous vous en doutez, ce sera sa dulcinée, la belle Leda (Etoile de son nom de famille, sans blague !!), aussi lumineuse qu’il est torturé, aussi pure qu’il est sombre. Je sens un symbolisme un peu lourd derrière tout cela, pas vous ?

Stop, je vous arrête tout de suite, Leda n’est pas une idiote, elle est innocente mais pas naïve. Une héroïne 80’s pur sucre.

L’histoire se partage entre Londres et Hawaï, les années 1880 pour le quotidien des héros et l’enfance de Samuel, que l’on devine assez traumatisante pour que Monsieur n’envisage même pas de laisser qui que ce soit l’effleurer – et encore moins faire des galipettes avec lui – jusqu’à ce que des circonstances un peu particulières ne le jettent dans les bras de notre héroïne. Héroïne qui de son côté est plutôt mal en point parce qu’elle n’est pas franchement duchesse ou princesse et se raccroche à sa respectabilité par le bout du petit doigt.

Difficilement.

Quand Miss Etoile apprend par hasard que Samuel, pourtant un modèle de respectabilité et protégé par une grande famille aristocratique, est responsable d’une série de vols qui défrayent la chronique (et accessoirement font de l’ombre aux festivités du jubilé de la reine Victoria – ce que Leda ne saurait tolérer, portée par un grand élan patriotique), elle décide de mettre ses principes dans sa poches, et d’utiliser l’information pour obtenir du travail.

Etre respectable, c’est bien, mais finalement, c’est encore mieux de ne pas avoir à soulever ses jupon, et entre deux maux, elle choisit le moindre.

De son côté, vous vous doutez bien que Samuel a ses raisons pour expliquer les vols – je dois aussi vous dire que Samuel est un ninja.

Oui oui, vous avez bien lu. Un vrai ninja, entrainé par un grand maitre japonais, rencontré à Hawaï pendant son adolescence.

Quota mystérieux/sexy/dangereux, check.

Rajoutez à cela une dévotion un peu mal placée pour sa sœur adoptive (le premier qui me parle des Hauts de Hurlevent passe par-dessus bord) (oui car tout ceci s’articule autour d’un grand mystère et finit sur un bateau), et vous obtenez une romance qui, malgré tous mes sarcasmes, m’a tenue éveillée jusqu’à des heures non-avouables, une romance toute en subtilité et finesse, qui réussit à se détacher du lot avec un vrai souffle d’aventure et un décor qui nous change des salons régence.

Quant à notre héros vierge ?

Il est, comme souvent, le produit d’un trauma bien bien vicieux, que l’auteur nous propose comme explication a toute sa personnalité et sans lequel l’histoire ne tiendrait pas debout.

Samuel ne fait pas exception à la règle et si la ficelle est un peu grosse, il faut bien reconnaitre que Laura Kinsale, comme lorsqu’elle parle de handicap, sait amener les choses avec maestria et nous faire croire à cette histoire.

Comme quoi, en la matière, tout est vraiment question de plume… Un livre à lire et un auteur à découvrir donc, si ce n’est pas encore fait !

Bonne lecture,
Chi-Chi